Etude du mouvement
Interview réalisée le 27 mars 2016 au Kaigen Dojo Nivelles
De l’application des principes du Budo
Bonjour Sensei, merci de prendre le temps de répondre à mes questions.
S/ Merci à vous pour votre intérêt dans mes recherches.
A/ Tout d’abord, pouvez-vous me dire quel est votre parcours et ce qui vous a conduit à la création du Kaigen Institut?
S/ Alors, j’ai commencé l’étude des arts-martiaux vers l’âge de 12 ou 13 ans environ, tout d’abord par l’Aïkido, j’ai également fait un peu de karaté mais pour moi les choses ont véritablement changé lorsque j’ai rencontré Sensei Resier. C’est auprès de lui que j’ai principalement étudié. Lorsque j’y repense, je me dis que j’ai vraiment eu beaucoup de chance d’avoir pu étudier auprès de lui toutes ces années. Sensei Resier est un ancien Shihan de la Hakko Ryu, puis de la KoKodo, et il a finalement créé sa propre école, la Shigai Ryu. A mes yeux, Sensei Resier est probablement un des meilleurs en Europe dans son style de part sa capacité et son aisance à utiliser les principes de ces écoles. J’ai donc pratiqué intensément au Shigai Dojo, années durant lesquelles j’ai essayé de m’approprier l’enseignement de Sensei Resier. Ensuite en 2011, j’ai ouvert le Kaigen Dojo à Nivelles, afin d’y promouvoir la Shigai Ryu Aiki-Jûjutsu. Dans ma pratique martiale, j’ai le sentiment d’avoir toujours eu l’envie de faire des liens avec tout. Tout est dans tout. J’avais envie d’explorer, de chercher de nouvelles voies. Aussi en 2013, je sentais que mon enseignement au Kaigen Dojo en souffrait. Vous savez, lorsque vous enseignez une Ryu, à l’époque la Shigai Ryu Aiki-Jûjutsu, vous vous devez de transmettre le plus fidèlement l’enseignement que vous avez reçu sans le déformer, sans ajouter ou retirer des choses. C’est pourquoi, par respect pour l’école et par respect pour Sensei Resier, je me suis retirer pour fonder la Kaigen Ryu Aiki-JûJutsu. A ce moment là, je me suis senti « libre » d’explorer et de chercher à ma guise. En plus de ma pratique au dojo, j’ai donc aussi beaucoup lu et observé ce que d’autres font. C’est important car cela nourrit ma recherche et ma réflexion. Et puis parfois, cela vient simplement confirmer un chemin sur lequel je me trouve.
A/ Quand vous dites que vous avez beaucoup lu et observé, vous voulez dire d’autres pratiques martiales ?
S/ Oui, entre autres mais pas que cela. Je pense que peu importe la discipline, si le mouvement est juste, guidé par des principes « universels », il doit pouvoir être « inter-transposable ». Par exemple, la position des grands violoniste lorsqu’ils jouent de leur instrument est dans certains points comparable à certains principes utilisé dans mon école. Une amie qui venait d’acheter un nouveau violon joue devant moi une partition de Vivaldi qu’elle est en train d’apprendre. En observant sa manière de bouger et de tenir son violon, je lui propose de modifier celle-ci en appliquant certains principes utilisé dans mon école. Aucun professeur de musique ne lui avait jamais expliqué cela de la sorte. La question que vous vous posez peut-être est: En quoi la manière de bouger et de tenir le violon peut modifier le son de celui-ci. Dans ce cas là, c’est un peu comme si cela permettait de se connecter à l’instrument, de vibrer avec lui. Si vous observez un violoniste de niveau moyen et un virtuose, l’émotion que vous pourrez ressentir n’est pas la même, cela passe en partie par la manière de bouger, de tenir le violon mais aussi le rythme, l’intensité, etc. Dans une pratique martiale, cela équivaudrait à la manière de prendre le contact lors d’une saisie par exemple. Cet événement m’a donné envie de continuer mes recherches dans cette direction. C’est entre autre pour cela que j’ai crée le Kaigen Institut, pour permettre à des personnes n’ayant pas une pratique martiale mais étant dans une recherche, un questionnement dans un domaine sportif, musicale ou autres d’expérimenter une autre manière de bouger.
A/ Que voulez-vous dire par « principes du Budo »?
S/ Et bien, lorsque j’enseigne le Jûjutsu, il s’agit d’un enseignement de type traditionnel donc sous forme de Kata. Les techniques des Kata sont à mes yeux une manière de transmettre les principes de l’école de génération en génération sans que ceux-ci ne se perdent. Les techniques en tant que telles ne sont pas importantes. Evidemment, il y a toujours l’aspect self-défense que beaucoup de gens recherchent mais ce n’est là pour moi qu’une conséquence de l’application correcte des principes de l’école. Comment expliquer simplement? Je dirais qu’il y a des « lois universelles » qui régissent notre manière de bouger afin que celles-ci soit la plus efficace mais aussi la plus respectueuse pour l’individu. Je pourrai dire se connecter à l’Univers. Dit comme cela, cela semble étrange pourtant à bien y réfléchir… Les Kata sont alors une fenêtre ouverte sur l’Univers de part le polissage des principes qu’ils renferment.
A/ Est-ce que ces « principes universels » dont vous parlez ne s’applique qu’au mouvement?
S/ Non bien évidemment, cela s’applique à touts les domaines à mon sens. Si je prends par exemple une personne qui ferait un discours ou prendrait la parole dans une réunion… Il est possible de transposer les principes du rythme. Si vous écoutez certains orateurs tristement célèbres, des dictateurs; faites attention au rythme dans leur discours. La question du rythme est un principe très important. Les Kata sont le prétexte à explorer, étudier et comprendre cela.
A/ Je sais que vous travaillez également avec des personnes qui ont des difficultés d’ordre psychologiques ou traumatiques, pouvez-vous m’en dire plus?
S/ Oui effectivement. C’est un autre axe que rend possible l’Institut Kaigen. En fait, ma première expérience dans ce domaine a débuté en milieu hospitalier, milieu dans lequel je travaille également. Les circonstances à l’époque ont fait que je travaille en individuel avec une personne qui, comment dire simplement, avait beaucoup de pulsions « auto-agressives » se manifestant entre autres par des pulsions alimentaire de type boulimie. Les résultats semblaient vraiment très intéressants. Le travail que j’effectuais alors était plutôt basé sur des exercices physiques simples de Jûjutsu visant à libérer cette « auto-agressivité » et donc ayant un impact positif direct sur les crises de boulimie. Les séances ne nécessitant pas de verbaliser. Ce qui est un élément important car mon expérience dans ce domaine m’a souvent montré que verbaliser est parfois compliqué. Ensuite, il m’est arrivé de travailler avec des jeunes ou des adultes. De nos jours, il est communément admis que le corps et l’esprit sont lié. Parfois, selon les circonstances, il est plus facile pour certaines personnes de passer par le corps pour aider l’esprit. Je pense qu’il est possible de travailler autour du corps et de la mémoire de celui-ci et au besoin de « réparer » cette mémoire corporelle. Les résultats sont vraiment étonnant, dans les bonnes indications.
A/ Est-ce que l’on pourrait dire que vous faites un travail de coach ?
S/ Je n’aime pas beaucoup ce terme. Je dirai plutôt que je suis dans une démarche de recherche et de pratiques martiales. Parfois, il m’arrive d’aider des personnes avec le fruit de mes recherches.
A/ Il y a t-il des gens qui vous ont inspiré dans cette axe de recherche?
S/ Oui, dans le livre « le traité des cinq roues », d’une certaine façon Myamoto Musashi y fait clairement allusion. Par ailleurs, après m’être intéressé à cette dimension, j’ai commencé à regarder si d’autres personnes étaient également sur cette voie. Aussi, il y a Kono Yoshinori Sensei, qui est je pense un véritable expert dans ce domaine. Il en a fait une sorte de marque de fabrique. Cela me réjouit car c’est un peu une manière pour moi de confirmer ce chemin. C’est aussi une source d’inspiration. Bien évidemment, il y a d’autres sources qui m’inspirent. Je regarde aussi de près Kenji Tokitsu Sensei, surtout dans sa bibliographie, Tatsuo Kimura Sensei , Segawa Sensei et bien d’autres.
A/ Merci à vous pour vos réponses.
S/ Merci pour votre intérêts.